samedi 9 avril 2011

De la transparence dans la santé publique

Alors que la défiance envers les politiques de Santé Publique se polarisait traditionnellement dans la relation entre l’opinion publique et le décideur politique, la méfiance s’étend désormais aux responsables de l’expertise. En germe depuis le début des années 2000, c’est la question de la grippe A/H1N1 et sa très contestée campagne de vaccination qui a joué le rôle de révélateur de cette rupture désormais consommée.

Le récent scandale du Médiator n’est à ce titre qu’un symptôme du malaise profond que l’on a laissé s’installer en ne prenant pas garde à adapter les exigences déontologiques aux aspirations démocratiques modernes. S’il n’y pas lieu de reprendre le slogan, trop souvent entendu, du « tous pourris » (car l’immense majorité des experts font un travail précieux et de grande qualité), une approche radicalement nouvelle de l’expertise en Santé Publique est désormais nécessaire, allant bien au delà de la simple question de la gestion des liens d’intérêts.

Jamais le besoin d’une approche collective et publique de la Santé n’a été aussi grand et le succès des politiques engagées en la matière nécessite un lien de confiance étroit et indéfectible entre les français et les professionnels engagés dans l’analyse des besoins de santé, dans l’expertise et dans l’élaboration des politiques nouvelles. Restaurer ce lien de confiance, c’est aujourd’hui s’interroger d’abord sur la fabrique de l’opinion de l’expert.

Il serait faux de croire que le conflit d’intérêts, en Santé Publique comme ailleurs, ne survient que lorsque des intérêts publics et privés s’opposent frontalement. Et il serait également faux de croire que les seuls liens financiers génèrent du conflit d’intérêt, les liens scientifiques, intellectuels ou relationnels sont tout autant en cause. Enfin, il serait encore plus faux de croire que la perte d’indépendance d’un expert relève de la malhonnêteté systématique. L’emprise est loin d’être toujours consciente et la fabrique de cette influence est bien plus pernicieuse que cela.

Partant de là, il faut constater les dégâts causés par les années de libéralisme dans le monde de la Santé qui ont laissé l’argent privé prendre une place prépondérante dans le financement du système au fur et à mesure que l’État se désengageait. Aujourd’hui, le constat est peu reluisant, l’argent privé est partout et surtout où il ne devrait pas être : dans l’information médicale (combien de journaux professionnels, en dehors de Prescrire, peuvent se dire indépendants), dans la Formation Continue des professionnels, dans l’organisation des Congrès Scientifiques, dans le financement des associations, qu’elles soient associations de professionnels de santé, d’étudiants en filières de santé ou de patients. Qui serait assez naïf pour croire qu’il s’agit là d’un mécénat désintéressé ?

Si la désignation à la vindicte populaire des firmes pharmaceutiques comme seules et uniques responsables de tous les maux est facile et tentante, ce serait oublier un peu vite qu’il s’agit également d’un secteur industriel clé, nécessaire à la santé des français comme à celle de l’économie du pays. Avancer sur la rénovation de l’expertise en Santé Publique, ce n’est pas stigmatiser les intérêts privés, mais avancer des propositions au travers du prisme d’une clé d’analyse simple : le métier premier de l’industrie pharmaceutique n’est pas l’irrigation financière du système de santé, mais la production de médicaments et d’innovations.

Renouer la confiance entre population et experts, c’est faire trois choses : prévenir les conflits d’intérêts, donner les moyens aux pouvoirs publics de garantir l’indépendance de l’expertise et adopter de nouvelles règles d’organisation plus conforme avec la démocratie sanitaire moderne que nous souhaitons.

La gestion des liens d’intérêts est finalement la partie la plus évidente à réformer et le débat démocratique est aujourd’hui largement entamé sur la question. La prévention des conflits d’intérêts passe par la transparence et donc par la déclaration, la publication et la diffusion de tous les liens, financiers ou non, entretenus par les intérêts privés avec les acteurs du monde de la Santé. Si la question du financement des professionnels à titre individuel est évidente, une réforme complète ne devra pas oublier les associations de professionnels, d’étudiants ou de patients, les sociétés savantes ou les structures de formation médicale continue . Sur le modèle du data.gov américain, il faut une agence capable de recueillir et diffuser les déclarations de liens d’intérêts.

Mais la seule déclaration individuelle et sur l’honneur ne suffit pas. La multiplication de ces déclarations rend quasi-impossible les opérations de contrôle, sans compter que ces déclarations sont souvent incomplètes ou mal remplies, non du fait d’une volonté de dissimuler mais plutôt par le peu de goût des professionnels pour les tâches administratives et la difficulté parfois à se souvenir de tous les liens d’intérêts possibles. C’est pourquoi l’une des pistes les plus prometteuses pour une réforme à venir est l’inversion de la charge de la déclaration qui ne relèverait plus de la responsabilité de chaque professionnel, mais de celle de l’intérêt privé qui aurait alors l’obligation de déclarer et de faire publier l’ensemble des financements octroyés, contrôle et sanctions dissuasives pour ceux ne jouant pas le jeu à la clé.

Cette nouvelle transparence est un préalable mais n’est pas une fin en soi. Il est prévisible qu’avec ces nouvelles règles de transparence, les financements privés diminuent. Il faut donc réarmer la puissance publique pour lui permettre le financement de ces structures nécessaires au bon fonctionnement de la Santé dans notre pays. Une réflexion quant à de nouvelles formes de financements « innovants » devrait être menée afin que l’exigence de transparence ne se réalise pas au détriment de l’action des différents acteurs de la Santé.

Alors que la France est en retard d’une décennie (au moins) dans le développement d’une culture de Santé Publique, la formation initiale des médecins et le développement des filières menant aux professions de la Santé Publique doivent également être développés. Si le changement des règles de transparence est une politique dont les effets seront visibles à court terme, il s’agit là d’une politique de long terme dont les résultats ne se feront sentir qu’à dix, quinze ou vingt ans. Elle est pourtant primordiale pour mieux préparer notre pays aux enjeux de Santé de demain qui seront essentiellement collectifs.

Entre le temps court et le temps long, le renouveau de l’expertise en Santé Publique passe par l’établissement de nouvelles règles démocratiques. L’expertise collective, si elle est nécessaire, présente un inconvénient, celui de la dilution des responsabilités. Ce d’autant que trop souvent, les avis minoritaires ne sont pas pris en compte et ne sont pas publiés. La possibilité de rendre publique les réunions d’expertise des grandes agences de santé et la publication des avis minoritaires doivent devenir des standards pour assurer la démocratie sanitaire. Tout aussi nécessaire, la question du statut de l’expert doit être posée. Dans la pratique quotidienne, les seuls professionnels salariés peuvent participer sans perte financière aux travaux d’expertise sans perte financière. Si bien que les professionnels libéraux ou les associations indépendantes ont bien souvent du mal à avoir l’assiduité nécessaire à la participation à de telles expertises.

Redonner confiance aux français dans la Santé Publique, on le voit, ce n’est pas que régler la question des conflits d’intérêt qui a fait les gros titres ces derniers mois. C’est engager une réforme profonde des pratiques démocratiques dans le monde de la Santé. L’exigence aujourd’hui est de porter un renouveau d’une ampleur comparable à celle du Sunshine Act américain qui depuis 1976 permet de faire progresser la transparence dans la vie démocratique aux Etats-Unis. Lorsque plus récemment le Président Obama a fait voter le Physician Payment Sunshine Act, les financements par l’industrie pharmaceutique ont diminués, preuve s’il en est de l’efficacité du dispositif.

Le malaise qui tenaille une Santé Publique en crise oblige la Gauche à répondre à cette question : Au delà des quelques replâtrages proposés par la Droite, qui bien qu’allant dans le bon sens sont largement insuffisants, sommes nous prêt pour un Sunshine Act à la française ?
  Clément Lazarus, pôle santé de Des idées et des rêves